Une
enfance déchirée
Comme
toujours lorsqu’il se plongeait dans les profondeurs
du passé, Charles de Foucauld tentait de revoir
le visage de sa mère : visage blanc, doux et triste,
encadré de sages cheveux noirs.
Bien née, avec quelques ancêtres roturiers, Elisabeth
Beaudet de Morlets, évoluait dolente, au
milieu de ses domestiques, persuadée que
la vie n'était qu'une longue épreuve
destinée à mériter le ciel.
Elle mourut à trente-quatre ans des suites d’une
fausse couche, le 13 mars 1864. Son
père, le vicomte Edouard de Foucauld, avait
brûlé sa vie de garçon, ripailles
et beuveries distinguées prenant le pas
sur son travail.
Il la suivit dans la tombe cinq mois plus tard,
puis la propre mère du malheureux, la vicomtesse
de Foucauld, fut victime à soixante-quatre ans
d’une crise cardiaque: on lui avait confié les
deux enfants d’Edouard.
Cette incroyable série de catastrophes familiales
frappa les deux enfants. Charles, six ans, ressentit
sans violence la perte des siens. Très tôt, il
s’interrogea sur ce Dieu qui les avait si cruellement
frappés. Le père d’Elisabeth, soixante-huit ans,
avait recueilli les deux orphelins. Un conseil
de famille le nomma tuteur. Charles se referma
sur son chagrin. Bon élève, il se montrait appliqué,
travailleur, l’esprit vif. Mais il explosait parfois
dans de violentes et inexplicables colères, manière
d’extérioriser la sourde douleur refoulée qui
le minait.
C'est par ce genre de souffrance que l'être
entre en mutation.
En octobre 1871, Charles entra en troisième au
lycée de Nancy. Il aimait ses professeurs et se
montra bon élève. C’était encore, à treize ans,
un petit garçon rond et joufflu, introverti mais
curieux de tout. Il fit avec ferveur sa première
communion le 18 avril 1872 Il choisit comme souvenir
une image du Sacré- Cœur. En octobre 1873, il
entra en rhétorique. L’évolution rationaliste
de son esprit s’accéléra. Il perdait insensiblement
la foi. Il n’y eut pas chez lui lutte, interrogation,
non. Dieu se retira doucement, sans bruit, comme
la mer descendante.
La perte de la foi sera consommée fin 1874, l’année
de sa classe de philosophie. «Je vivais comme
on peut vivre quand la dernière étincelle de la
foi est éteinte.»
Ayant obtenu le 12 août 1874 son premier baccalauréat,
Charles quitta Nancy pour Paris. L’enfant choyé
des Morlet se retrouva interne dans ce sévère
collège des jésuites de la rue des Postes, la
célèbre école Sainte-Geneviève, qui avait à cœur
de former une élite, et éventuellement de mater
les jeunes récalcitrants.
En août 1875, il obtint tout de même son second
baccalauréat. Il réintégra le collège en octobre
pour l’année de préparation à Saint-Cyr. En mars
1876, en pleine année scolaire, les jésuites renvoyèrent
à Nancy ce sujet rebelle. Motif avoué : «Paresse
et indiscipline.»En juin 1876, il est reçu au
concours d’entrée à l’Ecole spéciale militaire
de Saint-Cyr.
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