La
Conversion
Le
19 février 1886 de retour d'Alger, il s'installa
à Paris.
Affectivement, il se sentait toujours solitaire.
Il demeurait chaste et s’en étonnait. Il se détachait
de la chair. Plus tard, Charles attribuera cette
mutation imprévisible à Dieu, en vue de sa conversion
: «Vous m’obligeâtes à être chaste, me détournant
du mal par les moyens les plus doux et les plus
forts… Vous ne pouvez pas entrer dans une âme
où le démon des passions immondes règne en maître…»
Pas à pas, Charles avançait donc vers la crise
majeure, le bouleversement. En cet automne 1886,
il est ébranlé, mais nullement converti : «Mon
cœur et mon esprit restaient loin de Vous (mon
Dieu), mais je vivais pourtant dans une atmosphère
moins viciée. La place se déblayait peu à peu.
Vous aviez brisé les obstacles, assoupli l’âme,
préparé la terre en brûlant les épines et les
buissons.»Un jour, il entra dans une église, le
soir. Là, baigné par la douce lumière des cierges,
il vint s’asseoir en face de l’autel et murmura
: «Mon Dieu, si vous existez, faites que je vous
connaisse !» C’est alors qu’apparût l’abbé Henri
Huvelin, vicaire à saint-Augustin.
Le 30 octobre 1886, Charles de Foucauld, tôt le
matin, sortit et se dirigea vers l’église Saint-Augustin.
Sa décision était prise, il rencontrerait l’abbé
Huvelin. L’abbé Huvelin est là. Charles, se penche
vers lui et murmure : - … Monsieur l’abbé, je
ne viens pas pour une confession. Je n’ai pas
la foi. Je désire seulement avoir quelques renseignements
sur la religion catholique. - … Vous vous trompez,
mon enfant, ce qui vous manque en ce moment pour
croire, c’est d’abord un cœur pur. Mettez-vous
à genoux, confessez-vous à Dieu et vous croirez.
Sans trop comprendre ce qui lui arrive, Charles
s’agenouille et, longuement confesse toute sa
vie. Enfin le prêtre lui donne l’absolution. La
joie envahit Charles, et une paix qu’il croyait
impossible. Charles se lève. Il ne croit pas,
il sait ! C’est comme s’il redevenait un enfant.
Il a retrouvé son Père. Puis il reçoit le Corps
du Christ, et dès lors, il n’aura plus jamais
ni faim, ni soif. L’abbé Huvelin lui conseilla
de s’instruire sur les “mystères” et surtout de
prier et de se dépouiller. Messe, confession et
communions fréquentes. Charles a reçu la lumière,
il a été aimé, il demeure comblé. C’est l’adhésion
totale à ce postulat fou : le Christ-Dieu, l’homme-Dieu,
le Dieu incarné, toujours présent, aimant et vivant
dans l’Eucharistie.
En
septembre 1888, Charles dit adieu à l’armée, sur
le conseil de l’abbé Huvelin, il se décida alors
à effectuer un pélerinage en Terre Sainte.
Vers
le don total
Arrivé le 15 décembre 1888 à
Jérusalem, il trouva la ville sous la neige. Là,
trois religions se disputaient l’espace.
«Le dôme du Saint-Sépulcre,
le Calvaire, le Mont des Oliviers se dressaient
devant moi. Il fallait changer de pensée et se
retrouver au pied de la croix.» Quittant Jérusalem,
Charles entra à Noël à Bethléem. Il chercha la
crèche et la grotte de la Nativité. Une énorme
basilique se dressait à l’emplacement présumé.
Le voici le 10 janvier 1889 à Nazareth.
Il met encore ses pas dans ceux de Jésus.
Et là, il entend enfin la réponse à son appel.
Quelque-chose de très fort et de très doux. S’anéantir
au milieu de la Sainte Famille, devenir son serviteur
familier, silencieux à la dernière place, se conformer
au modèle unique du Christ pauvre et encore inconnu,
obéissant et obscur.
De retour à Paris, le 14 février 1889, Charles
annonça à l’abbé Huvelin et à Marie de Bondy,
qu’il envisageait de devenir trappiste dans une
abbaye pauvre et retirée. L’abbé, sachant Charles
inapte aux travaux manuels, préférait le voir
chez les bénédictins. Aussi lui conseilla-t-il
une retraite à Solesme.
Le 20 septembre, Charles acheta
le fameux livre de sainte Thérèse d’Avila, Les
Fondations. Les textes de la grande Thérèse allaient
désormais constituer la base de ses lectures spirituelles,
après les Evangiles. Le 15 octobre 1889, il fit
même une retraite au Carmel de Saint-Denis. Où
aller ? Les cisterciens avaient sa préférence
et l’abbé Huvelin finit par approuver ce choix
: Notre-Dame-des-Neiges dans un site solitaire
et austère de l’Ardèche.
Il fera son noviciat à Notre-Dame-des-Neiges.
L’endroit est solitaire. Il faut subir ici six
mois de neige et de vent. Une grande paix émane
de ce lieu austère, où l’essentiel demeure caché,
invisible. La vie monastique toute fraternelle
le prit en entier. Cet aristocrate, qui a passé
sa vie à être servi, s’intègre sans problème à
cette communauté de pauvres moines, presque tous
venus de la campagne.
Offices, adoration, lectio : l’Ecriture sainte,
le bréviaire, l’Imitation, les œuvres de saint
Bernard et de Bossuet. Il se nourrit aussi des
Psaumes, qu’il connaît bientôt par cœur. Il ressent
bientôt la rigidité de la règle, qui brime son
bouillonnement intérieur.
Il se mit à songer à Notre-Dame-du-Sacré-Cœur,
le prieuré d’Akbès en Syrie, pauvre et caché.
Une rupture plus radicale encore avec son passé.
Après avoir cédé tous ses biens à sa sœur, Charles
de Foucauld prit congé des moines. Il arriva le
26 juin 1890 à Marseille où l’abbé célébra la
messe à Notre-Dame-de-la-Garde. Charles embarqua
le lendemain pour Alexandrette, en Syrie.
Prêtre
De Jésus-Christ
Charles comptait recevoir rapidement
le sacerdoce et en appelait aux bonnes relations
de l’abbé Huvelin auprès de “l’ordinaire de Paris”
le cardinal Richard. Que l’archevêque appuie en
outre à Rome sa demande d’approbation de l’ordre
des ermites du Sacré-Cœur ou petits frères de
Jésus. Mais le cardinal ne s’intéressait pas à
lui,
Qu’à cela ne tienne. Charles
irait à Rome voir le Pape.
Mais voir n’est pas s’entretenir avec. Il ne s’agissait
pas d’une audience particulière, qu’il n’avait
pu obtenir, mais seulement d’une audience collective.
Le regard lumineux de Léon XIII croisa le regard
brûlant de Charles de Foucauld, puis se perdit
dans la foule des visages. Pour l’ordre qu’il
voulait créer, Charles se vit renvoyé aux fonctionnaires
du Vatican, qui le prièrent d’en passer par la
voie hiérarchique, c’est-à-dire par son évêque.
Le 22 décembre 1900, Mgr Bonnet, évêque de Viviers,
l’ordonna sous-diacre. Il fut ordonné diacre le
23 mars 1901, à Nîmes.
Le 9 juin 1901, dans une immense
ferveur, Charles de Foucauld était ordonné prêtre
par Mgr de Montéty, lazariste, en la cathédrale
de Viviers. Alors que Charles rencontrait partout
des obstacles pour fonder son ordre, Mgr Bonnet
fut le premier de la hiérarchie à l’accueillir,
à l’encourager, à l’approuver : «Oui, j’approuve
votre projet d’Union des frères et sœurs du Sacré-Cœur
de Jésus. Mais, si Dieu veut qu’il se réalise,
que de difficultés il va rencontrer et par quelles
souffrances il lui faudra conquérir sa place au
soleil de la sainte Eglise !»
L’abbé Huvelin lui conseillait
de demeurer encore un an aux Neiges pour pour
approfondir sa vocation. Mais Charles ne songeait
qu’à partir, à s’engager profondément, sans délai.
Il veut donc aller là où sont les plus démunis,
en Afrique . Enfin l’abbé Huvelin céda : «Allez
où le Maître vous appelle !»
Charles opta pour Beni-Abbès,
une grande oasis prospère dans le Sud-Algérien,
proche de la frontière marocaine. Début septembre,
Charles quitta avec des regrets sincères le “petit
nid” de Notre-Dame-des-Neiges et embarqua à Marseille
pour Alger. Il faisait route vers son destin,
cet homme que désormais on appellera : “le père
de Foucauld”, Foucauld l’Africain !
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