Un
peu d'histoire
Quatorze ans après la
mort de Philippe-le-Bel, sa descendance mâle
est éteinte; une des plus effroyables guerres
dynastiques que le monde ait connues, bientôt
transformée en guerre nationale et accompagnée
de guerre sociale et de guerre civile, est venue
fondre sur le beau royaume des Capétiens;
et il y en a pour cent vingt-cinq ans, à
part la trop courte accalmie d'un règne
réparareur, celui de Charles V!
Les défaites ont succédé
aux défaites: qu'ils sonnent lugubrement
les noms de Crécy, de Poitiers, d'Azincourt!
Quel est cet aliéné, au teint hâve,
aux joues creuses, aux yeux tantôt ardents
et tantôt morts, qui croupit dans la vermine?
C'est le roi de France. Quelle est cette intrigante
voluptueuse et vénale, à la coiffure
surmontée de cornes diaboliques, à
la robe peinte et brodées d'étranges
figures? C'est la reine de France. Quels sont
ces princes scandaleux et rapaces, dont l'un ou
l'autre est souillé de sang? Ce sont les
oncles et les cousins du roi. Quel est ce jeune
homme triste, timide, renié par sa propre
mère? C'est l'héritier du trône,
le Dauphin. Sur qui peut-il compter tout de bon?
Il doute de lui-même. Depuis le traité
de Troyes, ou est le véritable souverain?
Ou est l'autorité légitime? Charles
VII? Henri VI? Le Français ou l'Anglais?
L' Etat manque d'argent, le peuple est écrasé
d'impôts, la défense natinale presque
abandonnée. Cependant, en des fêtes
somptueuses et bizarres jusqu'à l'extravagance,
riches et grands, hommes et femmes, étalent
un luxe impudent, des costumes à faire
rougir.
A leurs folies, à leurs jouissances dévergondées,
répondent les jalouses fureurs et les âpres
vengeances des petits. Les grandes villles, Paris
surtout, sont livrées au règne de
la force brutale, parfois à des bandes
de massacreurs dont on ne reverra l'équivalent
qu'aux temps de la Saint-Barthélémy
ou de la Terreur.
Dans les campagnes dévastées par
l'Anglais, l'Armagnac et le Bourguignon, en proie
aux épidémies et à la famine,
retentissent des mots de désespoir: "Laissons-la
femmes et enfants! Remettons-nous en la main du
Diable !"
Remettez-vous en la main de Dieu! Il a jugé
que la Fille Aînée de son Eglise
a assez soufert, assez expié. Suivant l'audacieuse
image du prophète IsaÏe, Il donne
un coup de sifflet; le surnaturel sauveur fait
irruption dans la trame des événements
humains: c'est Jeanne d'Arc.
Relèvement militaire, relèvement
national, relèvement moral, relèvement
religieux, tout est remis entre les mains de l'enfant
de Domrémy, la petite paysanne de dix-sept ans.
Mgr Baudrillart de l'Académie
Française,
Recteur des Facultés Catholiques de Paris.
Extrait de
" JEANNE D'ARC et lavocation de la France",
prêche du carême de 1928 dans la chaire
de Notre-Dame de Paris.
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