La
mission de Jeanne d'Arc
L'épopée de Jeanne
d'Arc n'a duré que deux ans : un an de
combats, un an de prison. Son éclat a fait
oublier sa brièveté. Elle ne prend
cependant tout son sens que replacée dans
son contexte.
C'est un météore qui traverse le
ciel tourmenté de la guerre de Cent Ans,
traçant sa brusque traînée
de feu avant de sombrer derrière l'horizon.
Mais l'éblouissante clarté s'était
inscrite à jamais dans les regards ! Jeanne
avait brillé et s'était défaite
comme un songe, mais elle avait mis le feu aux
poudres ; elle avait été le premier
détonateur et le premier brûlot.
Certes, elle avait été victorieuse
mais, surtout, elle avait remis l'épée
et la lance au poing des combattants, rendu l'espérance
aux cœurs flétris par des échecs
quasi constants, à un peuple excédé
de misères et d'humiliations. Par son sacrifice
même, elle avait préparé la
voie triomphale de la libération du Royaume
des Lys.
Dans l'église de Domrémy, comme sous les
remparts d'Orléans et dans la geôle
obscure où les Anglais l'enchaînaient
jour et nuit, elle incarnait un moment de la France.
Elle était la France ! Non celle des complaisances
et des renoncements, non ce pays discrédité
par les démagogues et par ces théoriciens
pour lesquels la politique est une arène
et qui, faute de savoir maintenir et créer,
sapent et détruisent, mais la France profonde
en laquelle l'avenir et le passé se donnent
la main, la France active et silencieuse, le sel
de cette vieille terre dont chaque ville, chaque
village, chaque sentier, chaque sillon conte une
longue et superbe histoire. En 1429, Jeanne avait
le visage de cette France-là. Elle était
le premier sourire venant après les larmes.
Pour jeter une lumière vraie sur le rôle
qui fut le sien, sur la mission qu'elle assuma,
il est donc nécessaire de montrer d'abord
dans quel chaos le beau royaume de France se trouvait
plongé, comment cette puissance qui, par
son peuplement comme par ses ressources propres,
tenait la première place en Europe, décrut,
d'un règne à l'autre, au point d'être
submergé par l'envahisseur et quasi anéantie.
A croire que les Valois ruineraient l'œuvre
des Capétiens directs, leurs devanciers
! Ce constat rendra plus sensible et plus évident
le retournement de situation opéré
par Jeanne en quelques mois. C'était vraiment
au terme d'une longue, d'une oppressante nuit,
le soleil qui se mettait à reluire.
Pour autant, la personnalité de Jeanne
est difficile à cerner. Certes, il est
possible - et l'on ne s'en est pas privé
- de privilégier tel ou tel des aspects
de son caractère, mais il importe peu qu'on
la considère comme patriote, résistante
ou mystique. Elle fut tout cela. Elle fut surtout
simple et vraie, ne se prenant ni pour une héroïne
ni pour une sainte, ne tirant aucune vanité
de ses actes, répétant ici et là,
et même devant ses juges, qu'elle n'était
que l'instrument de la Providence. Il me paraît
indispensable de souligner que ce n'était
ni une illuminée, ni une malade. Elle était
au contraire parfaitement équilibrée.
Si elle avait présenté une anomalie
quelconque, souffert de crises d'ordre pathologique,
montré une sensibilité excessive,
nous le saurions, car les témoignages abondent
sur son comportement. Elle n'était pas
une démente mais un esprit sain dans un
corps sain.
Croyants et incroyants se sont acharnés
à expliquer le mystère de sa destinée,
cette force secrète qui grandit en elle
jusqu'à la métamorphoser en chef
de guerre, armant soudain le bras de cette créature
qui était, dans les champs et dans la maison
de Domrémy, toute amour, toute humilité,
toute douceur. Mais aussi cette conviction intime
qui permit à une fille illettrée
de tenir tête à un aréopage
de théologiens aussi chevronnés
que malveillants, et même de les jeter dans
l'embarras. Ses détracteurs ont essayé
en vain d'altérer son image.
Sans doute notre pays ne manque-t-il pas de femmes
héroïques. Pourtant aucune d'elles
ne se haussa au niveau de Jeanne, ne sauva la
patrie à elle toute seule ! Que Jeanne
fût restée dans son village à
filer la laine, ou que les théologiens
de Poitiers l'eussent récusée, que
Charles VII lui eût refusé sa confiance
ou qu'elle eût échoué sous
les murs d'Orléans, et c'en était
fait du sacre de Reims et probablement de l'indépendance
du royaume ! Tout était perdu quand elle
parut ; tout redevint possible après Orléans
; la libération de la France était
en germe dans son martyre. Les politiciens l'ont
revendiquée, au hasard des opportunités,
mais ils n'ont pu dénaturer ses intentions,
ni sa personne, ni sa grandeur. Les historiens
du monde entier, ou presque, se sont penchés
sur son cas, parce qu'il est unique. Mais elle
est pour nous, gens de France, un souvenir sacré.
On peut remettre ses pas dans ceux de Jeanne,
refaire, à la même saison, l'itinéraire
qu'elle parcourut de Vaucouleurs à Chinon,
d'Orléans à Reims, de Compiègne
à Rouen où se consomma son sacrifice
; c'est pourtant à Domrémy où elle
naquit, grandit, accepta d'un cœur vaillant
l'effrayante mission qui lui était confiée,
que sa présence reste la mieux perceptible,
la plus proche, car il est des lieux où
souffle l'Esprit.
Extrait de JEANNE D'ARC et la guerre
de Cent Ans
de Georges BORDONOVE
édition PYGMALION / Gérard Watelet
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