Sainte
Jeanne d'Arc
En 1431, l'Eglise avait excommunié
et abandonné Jeanne au bras séculier,
comme hérétique et relapse. Vingt-cinq
ans après, elle annulait ce jugement dont
l'iniquité était évidente.
La sentence émise en 1456 par le cardinal
Jouvenel des Ursins reconnaissait les mérites
éminents de Jeanne. Elle attestait son
innocence, non sa sainteté. Somme toute,
elle cassait une procédure, mais ne se
prononceait pas dans ce qui touchait aux révélations.
Il fallut encore plus de quatre siècles
pour que l'Eglise béatifiât Jeanne
puis la canonisât, le 16 juin 1920. Elle
n'avait jamais cessé d'être célébrée
comme une héroïne nationale, cependant
qu'une multitude de chrétiens la révéraient
instinctivement comme une sainte. Pourtant, il
fut nécessaire que Mgr Dupanloup, évêque
d'Orléans, introduisît la cause devant
le Saint-Siège. L'inscription de Jeanne
au calendrier des saints fut promulguée
par le Pape Benoit XV, après une procédure
qui avait duré quelque cinquante ans. Prudence
extraordinaire de l'Eglise devant un paradoxe
sans doute unique dans son histoire !
Il est vrai que tout est paradoxal dans les actes
comme dans la personne de Jeanne : paysanne obscure
soudain projetée à l'avant-scène
de l'histoire, promue chef de guerre, devenue
l'égale des princes et le point de mire
de l'Europe par ses exploits quasi incroyables
; simple chrétienne et tenant tête
à un aréopage de théologiens
qui faisaient autorité dans l'Eglise ;
obéissante, vulnérable et douce,
mais héroïque et meilleur stratège
que les capitaines les plus avisés ; victorieuse,
mais ne sortant pas un instant de son humilité
native ; fille de Dieu, mais aimant et respectant
la vie comme un don sublime ; compatissant aux
malheurs des pauvres, pleurant sur les âmes
perdues, fussent-elles anglaises, fille du peuple
et tenant par toutes ses fibres à ses origines
terriennes, mais s'adaptant aux usages de la Cour
avec une déconcertante facilité,
sans cesser d'être naturelle ; allant du
Ciel à la terre et de la terre au Ciel,
constamment, transformant en croisés des
soldats déshumanisés par une interminable
guerre ; une et multiple, sans angoisse métaphysique,
mais irriguée par une foi vive et bondissante,
comme la Meuse qui l'avait vue naître ;
transparente et pourtant insaissable et presque
incompréhensible pour ceux qui rejettent
le concept de Dieu.
Elle fut le dernier chevalier. Non de ces "empanachés"
qui usaient leurs forces en de futiles tournois,
mais de ceux pour lesquels la chevalerie restait
un sacerdoce militaire et qui, le cœur limpide,
s'en allaient mourir sous les murs de Jérusalem
ou partager le lit de cendres de Saint Louis à
Carthage (Tunis). Le monde auquel elle aspirait
ne différait en rien de la Jérusalem
terrestre que le pieux roi rêvait d'instaurer.
Le Moyen Age atteignait son point culminant sous
le règne de Saint Louis ; il finissait
avec Jeanne : cela avait été une
civilisation naissante, fleurie d'églises
neuves, un univers d'enluminures et de vitrail.
Ignorant l'ambition et la cupidité, la
politique et ses intrigues, Jeanne ne pouvait
être qu'une victime offerte, malgré
sa finesse instinctive. Souvent déconcertée
par les atermoiements d'un roi pragmatique, elle
ne l'en aimait pas moins, mais son attachement
était celui des humbles, qui aiment avant
de raisonner.
Une âme de chevalier, droite et simple,
le plus beau d'un âge qui finissait, comme
le crépuscule jette soudain un rayon plus
vif. Sans doute. Mais aussi un être intemporel,
exerçant sur les foules une persistante
attraction : il n'est que d'observer le public
se pressant pour voir le dernier film qui lui
fut consacré, après tant d'autres
! Elle est sainte pour ceux qui croient que la
France est Fille aînée de l'Eglise.
Elle est une héroïne sans pareille
pour ceux qui se réfèrent aux seules
valeurs humaines. Cependant, quoi que l'on dise
ou fasse, on est bien obligé d'admettre
qu'elle a introduit le surnaturel dans notre Histoire.
Pour les âmes justement inquiètes
de l'avenir, elle est une leçon d'espérance.
Sans visage et sans tombeau, elle continue de
vivre, pareille à ces lumières qui
bordent l'horizon et scintillent dans la nuit,
promettant le retour d'on ne sait quel bonheur
que l'on croyait perdu. Sans tombeau, sinon le
souvenir, l'émoi secret, la passion qu'elle
éveille. Sans visage, sinon celui de la
France tutélaire, émergeant d'un
douloureux sommeil ! Cette France silencieuse
qui, mutilée, discréditée,
voire tournée en dérision, se penche
sur son passé pour y retrouver ses forces
vives et, les ayant rassemblées, se redresse,
plus entreprenante et vive que jamais !
Cent ans de guerre, d'humiliations, de larmes,
puis vint cette bergère des marches de
Lorraine. Un an de combats, un an de prison suivi
d'une horrible mort, et le soleil se reprit à
luire sur le Royaume du Lys ! Pour Jeanne commençait
cette "mémoire de louange immortelle"
promis par Jean de Serres.
Quand Jeanne avait dix-sept ans, une prophétie
courait dans le pays, annonçant que la
France serait perdue par une femme (la reine Isabeau)
et sauvée par une vierge venue des Marches
de Lorraine.
Extrait de JEANNE D'ARC et la guerre
de Cent Ans
de Georges BORDONOVE
édition PYGMALION / Gérard Watelet
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